Écrire est un souffle, un souffle qui emporte celui qui tient la plume, un souffle qui vient du fond de l'être et qui pousse inexorablement la main jusqu'à ce qu'elle couche sur la page ce que l'esprit produit. Mais ce souffle continue sa course et emporte le lecteur loin de son univers quotidien. Et les circonstances ont fait que je me suis longuement interrogé sur la pertinence d'écrire sur ce qui allait faire mon quotidien pendant les quelques mois à venir, un quotidien particulier, inspirant, mais peu propice aux grandes envolées lyriques...
Je livre à présent, par groupes de respirations, ce souffle qui me tient depuis bientôt sept mois.
Mercredi 11/09/2024
Cela fait à présent une dizaine de jours que je suis contraint de prendre le train entre Avignon et Sorgues, la petite ville où j'officie. Après quelques coups de pédales, je rejoins la gare et monte dans un train qui me conduit à destination en cinq ou six minutes. Il m'est venu à l'esprit une simple idée : utiliser ces quelques minutes pour rédiger quelques lignes, chaque jour, à l'aller comme au retour, et cela commence ce mercredi. Immanquablement, il y aura des redites, des élans avortés, faute de temps. C’est un travail de sprinter que je me propose, et dans le sprint, peu de place pour l’analyse, tout est dans le premier jet.
La routine s'est déjà installée durant cette dizaine de jours, et quelques habitudes ont été prises. Ainsi, il me semble important, autant que faire se peut, de jeter un œil sur le quartier que j'habite, sur la rue qui passe devant chez nous et que la voie de chemin de fer traverse à quelque distance. Pourquoi ? Peut-être est-ce un besoin profond, quand je quitte un lieu ou une personne, de ne pas le quitter tout à fait, d'en garder une trace, visuelle ou non, le plus longtemps possible. Vieux traumatisme d'enfance ? Père disparu quand je dormais, évaporé à jamais dans les limbes nocturnes ? Qui sait ? Mais il est un fait que chaque matin je regarde ma rue. Un autre point est qu'une collègue prend parfois le même train que moi, mais ni elle, ni moi ne faisons l'effort de nous retrouver dès le départ. Il semble que chacun tient à garder une intimité trop vite abandonnée en ces matins parfois venteux comme aujourd'hui. Mais c'est ainsi, nous nous ignorons habilement, gardons une distance nécessaire, pour nous retrouver au travail quelques minutes plus tard. Étrange relation à la limite de la pudeur et du refus de communiquer, de l'indifférence et du respect de l'autre.
Retour ensoleillé, toujours cinq, six minutes de trajet, et l'obligation d'écrire quelque chose. Ce rapide moment de rédaction oblige à la concision, à trouver l'expression juste pour un propos cohérent mais bref : une gageure. Mais c'est le pari que je fais : trouver durant chaque trajet quelque chose de consistant mais fugace à exprimer. Un exercice utile et redoutable. Un exercice gratuit d'écriture, ou de peinture impressionniste d'une conscience toujours en quête d'elle même? Et surtout, jusqu'à quand cela tiendra-t-il ?
Jeudi 12/09/2024
Petit pincement au cœur : occupé à une tâche quelconque, j'ai "raté" notre rue et n'ai aperçu que trop tard les arbres du cimetière qui surplombent notre maison. Mais qu'importe ! Le train est lancé à travers pavillons et usines, hangars logistiques et zones commerciales. Il est étonnant de voir la quantité d'univers qu'on peut traverser en cinq minutes dans un environnement urbain, des mondes, des microcosmes grouillants. Au retour, le vent et les températures en nette baisse rendent les lieux apparemment moins grouillants, mais le décor reste assez fascinant. Les espaces nettement marqués se succèdent en sens inverse, on imagine l'échiquier vu d'en haut, dont les lignes seraient les routes et autres voies de communication, les cases blanches les grands bâtiments commerciaux ou industriels, voire les zones pavillonnaires, et les cases noires les champs, friches et autres espaces naturels. Et les pions que nous sommes se déplacent de case en case, en attente d'un échec ou d'une victoire...
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