Mercredi 02/10/2024
Il y avait en Espagne, autour de Laredo, un nombre important de
bâtiments religieux de toutes les époques, églises romanes liées
au chemin de Compostelle, cathédrales diverses, sans compter ces
autres sanctuaires qu’étaient les grottes ornées du
paléolithique. Nous nous y rendions régulièrement, en promenant,
lors des de jours de pluie chaude, quasiment tropicale, comme il en
tombe souvent sur ces contreforts des Asturies plantés d’eucalyptus.
A chaque fois, l’émotion était semblable : le sentiment d’un
sacré, que je ne partageais pas intellectuellement, mais que je
ressentais profondément, l’impression d’être dans un lieu
chargé de spiritualité, c’est à dire de la communion des
pensées, des espoirs, des craintes de communautés humaines
millénaires. Et cela ne s’est jamais démenti, les lieux sacrés
sont toujours des lieux qui m’émeuvent au plus haut point. C’est
au Mur des Lamentations que l’émotion a probablement été la plus
forte, une vingtaine d’années après ces séjours espagnols. Là,
entre l’esplanade des mosquées et le Saint Sépulcre, c’est avec
une boule dans la gorge inexplicable et un bouleversement de tout mon
être que je suis resté à contempler ces vieilles pierres qui
avaient reçu des marques de foi depuis tant de siècles, entre les
ors du Dôme du Rocher et les cloches d’églises sonnant à toute
volée. Un moment hors du temps, un abîme d’émotions indicibles.
Jeudi 03/10/2024
Si je remonte encore dans ma mémoire, jusqu’à cette époque de
l’enfance et de la petite enfance, d’autres ambiances et d’autres
climats viennent de nouveau remplir mon esprit. Ainsi, mes parents
étant éducateurs spécialisés, ils s’étaient rencontrés lors
d’un séjour à la montagne avec des groupes d’enfants de leurs
structures respectives. Cet endroit était situé dans le fond d’une
vallée du Queyras, entre Molines, Saint Véran et le hameau de
Pierre-Grosse. C’est là que nous avions l’habitude d’aller,
dans le cadre de leur métier, d’abord, puis pour les vacances
scolaires ensuite. Le cadre était somptueux : de grands
versants boisés, au nord de la montagne qui nous faisait face,
sombres, mystérieux, probablement peuplés d’animaux exotiques et
terribles ; des versants orientés au sud ensoleillés,
construits, un adret hospitalier, une montagne habitée et apaisante.
C’est là qu’à l’âge où on apprend à marcher, on nous mit
sur de minuscules skis archaïques, c’est là que nous tombions
mille fois dans une neige abondante et accueillante, ressentant dans
notre chair le plaisir de la morsure du froid, bientôt soulagée par
la chaleur du logement et le lait bouillant du goûter.
Vendredi 04/10/2024
Petite pause dans les souvenirs, bien que… Le temps nous mange peu
à peu et ce truisme reste toujours une donnée théorique,
lointaine, tant que nous ne le sentons pas au plus profond de nous
mêmes. Je me souviens d’une série télé des années 1980 où un
personnage mort restait au milieu des siens, se mouvant, mangeant
avec eux, « vivant » dans le foyer sans s’apercevoir
qu’il était mort. Un éternuement, le nez qui tombe sur la table à
manger, et le voilà qui se décompose subitement, ayant pris
conscience qu’il avait achevé son existence. C’est un peu le
sentiment que j’ai, et même si je me dis que je n’ai pas l’âge
de côtoyer la mort, il est difficile d’ignorer une vue qui baisse,
une mémoire qui doit fonctionner moins vite. Disons plutôt que
l’esprit paraît à présent encombré de scories diverses qui le
rendent moins véloce. Et malgré tout, j’ai toujours l’impression
d’avoir quinze ans, des envies, des rêves, des projets sans nombre
qui peuplent mon avenir au point qu’il me semble avoir à vivre
encore un nombre indéterminé de décennies, et toujours vif et
alerte. Mon corps lui-même me trompe : aucune gêne majeure,
aucune maladie grave, rien qui handicape ou empêche de faire du
sport, de manger et boire librement. Étrange sentiment, le temps ne
m’a pas encore totalement mangé.
Lundi 07/10/2024
Et si je n’avais rien à écrire aujourd’hui. Je pourrais
reprendre le cours de mes souvenirs, ce qui se produira un de ces
jours, mais à présent je n’en ai pas spécialement envie. Et puis
écrire « au fil de l’eau » est aussi un plaisir,
écrire pour dire l’enthousiasme d’écrire n’est pas plus
inutile ou tautologique que choisir un sujet plus conventionnel. Et
vraiment écrire est un immense plaisir. C’est d’abord un jeu de
l’esprit satisfaisant, une occupation de la pensée parmi les plus
agréables, ensuite c’est une gymnastique physique qui apporte
autant de bien être que n’importe quel sport qu’on maîtrise un
peu. Les doigts serrent le stylo, la main court sur la feuille, une
légère crispation se fait sentir… Mais une collègue m’a vu et
vient me faire la conversation. Nous reprendrons le sujet plus tard,
peut-être.