lundi 31 mars 2025

 


Lundi 04/11/2024


Reprenons le fil du récit… Lorsque nous fûmes installés au sommet, je me rendis compte que nous n’avions rien pris pour dormir, ou du moins pour nous abriter. Mais qu’à cela ne tienne : l’ami sortit deux sacs de couchage légers de son sac à dos, et nous nous installâmes dans les buissons, à l’abri… de rien, mais la tête dans les étoiles et le nez à la brise. Je dormis ainsi comme un bébé, au grand air, jusqu’à ce que les premiers rayons du soleil viennent nous caresser le visage. L’aube était probablement plus belle que le crépuscule de la veille. Nous redescendîmes illico. Cette expérience, outre son aspect incongru dans sa brièveté, fut justement un intense moment de fusion avec la nature, mais aussi un instant de partage, pratiquement sans dialogue, une vraie communion d’âmes, presque une ascèse à deux, tant les actes étaient réduits à leur plus simple utilité immédiate, et la jouissance du moment présent fut aussi intense que profonde.




Mardi 05/11/2024


C’est parti pour une nouvelle journée ensoleillée et radieuse. Et c’est dans cet état d’esprit que j’aborde les retrouvailles quotidiennes avec les élèves. Au-delà des cadres du travail en eux-mêmes (collègues, contingences administratives ou d’organisation…), c’est cette présence en classe, avec les élèves qui motive et remplit d’un profond contentement. Et ce soir, en revenant d’une longue journée au collège, je vois avec joie qu’une fois de plus cela s’est vérifié. Les heures sont passées à une vitesse folle, des « déjà » ont fusé à la fin de certains cours, les regards ont été avides, la satisfaction lisible sur les visages. Qu’attendre de plus en terme de gratitude, de retour positif … … de bonheur ?

dimanche 30 mars 2025

 

Mercredi 16/10/2024


Un peu fourbu ce matin, j’ai dû pédaler fort pour ne rater mon train, que j’ai eu haut la main, finalement. Mais il est bon de sentir les fibres de son corps tiraillées, sensibles, à la limite de la douleur, mais encore dans le bien-être. Les lendemains de match de volley sont toujours l’occasion de sentir son corps dans toutes ses parties, de sentir son corps encore capable de réagir à l’effort, encore vivant. Le sport a ceci de positif qu’il demande une préparation physique minimale, mais qui permet de sentir déjà l’énergie venir électriser chaque parcelle du corps. Ensuite, pendant l’effort, c’est tout l’être qui est en tension sur le plan physique comme sur le plan moral, un sentiment de plénitude, hic et nunc, une jouissance de l’instant avec la satisfaction de l’exploit, à l’échelle de chacun, qui contente l’égo ou le frustre, mais pour mieux dépasser la frustration, justement.




Jeudi 17/10/2024


Que dire aujourd’hui ? Tenir sur la longueur ces carnets n’est pas sans risque d’épuisement. Comme disait l’autre : « tout est dit et l’on vient trop tard... ». Mais en réalité, si tout est dit, tout n’a pas été dit de la même manière, et c’est justement cela qui fait tout, et laisse ouvert à l’infini le champ de l’expression (j’allais écrire le « chant »). L’évolution de l’humanité, des rapports entre les individus, entre les individus et le monde, crée des situations toujours nouvelles, des cadres d’existence toujours différents. Et s’il est vrai qu’un certain éternel humain est perceptible d’époque en époque, les facettes de l’individu changent sans cesse selon l’éclairage extérieur, révélant peut-être certains aspects non encore perçus de cet éternel humain. C’est pourquoi tant qu’il y aura des humains, il y aura des artistes attachés à les peindre, de manière toujours nouvelle, toujours enrichie, et toujours enrichissante. L’on ne vient jamais trop tard pour parler des hommes, encore faut-il avoir quelque chose à dire. Le piquant de l’affaire , c’est qu’en écrivant ces quelques lignes, justement, je m’interroge sur leur pertinence, sur leur intérêt. Ne s’inscrivent-elles pas dans le bruit inutile du blabla des barbouilleurs de pages blanches ? En quoi peuvent-elles apporter quelque chose à la connaissance fine de l’être humain? L’effort est peut-être tout de même louable… « il faut persévérer » !




Vendredi 18/10/2024


Il commence à faire nuit lorsque le train démarre. Et me reviennent en mémoire certains départs de nuit plus ou moins anciens. Ainsi, lorsque nous partions en Espagne, mes parents voulaient rouler sur une seule grosse journée et ils nous réveillaient en pleine nuit pour nous installer dans le coffre de notre voiture break, grande ouverte pour l’occasion. Nous étions couchés sur des duvets, et tous les quatre nous nous rendormions illico, serrés les uns contre les autres, les bagages tout autour de nous. Mais le transfert lit-voiture, de nuit, avait quelque chose de magique, une parenthèse hors de la réalité, un bout de rêve éveillé entre le quotidien et l’aventure. Un autre petit matin me revient en mémoire : un ami de la famille m’a un jour proposé de partir en fin de journée contempler le panorama au coucher du soleil, depuis le sommet d’une moyenne montagne. Nous grimpâmes sportivement tout l’après-midi pour profiter de l’heure la meilleure pour le coucher de soleil, et nous ne fûmes pas déçus. Mais la gare approche, il faudra continuer le récit au prochain trajet…

samedi 29 mars 2025

 

Vendredi 11/10/2024


Je m’interroge sur les raisons qui me font tenir ces carnets, jour après jour, mais aussi qui me font écrire tout simplement, donc laisser une trace, quelque part. Il y a probablement, déjà, le fait qu’on ait une assez haute idée de soi-même, suffisamment haute pour penser qu’on pourra intéresser quelqu’un. Ainsi, il n’est pas étonnant que la France soit ainsi ce grand pays de la littérature, jalousé partout, mais encore admiré partout… une assez haute idée de soi-même. Mais il y a peut-être d’autres raisons, par exemple, et paradoxalement, une conscience aiguë de notre petitesse et de notre finitude qui nous animerait en prenant la plume.



Lundi 14/10/2024


Nuit un peu courte, et pour cause, nous sommes sortis hier soir : nous étions à Nîmes pour un concert du groupe Dionysos. Un nom de groupe assez extraordinaire : formé par des lycéens au début des années 1990, il est ainsi dénommé dès l’origine, en référence à l’ivresse et à l’enthousiasme, au sens étymologique du terme, qu’elle fait naître. Mais bien des années plus tard, le chanteur passe à deux doigts de la mort et ne ressuscite que grâce à une transfusion complète de sang. Ce « né deux fois » rejoint le dieu Dionysos dont le nom veut dire exactement cela. Mais revenons au concert, il est toujours étonnant de sentir toute l’intensité bienfaitrice de ces rassemblements de foule autour d’un artiste, d’un groupe, de la musique en général. Soudain, les barrières sociales tombent en une grande bacchanale, tout le monde est là pour une seule raison et cela suffit à réunir, voire à unir.



Mardi 15/10/2024


Curieuse impression ce matin… la brume stagne sur Avignon, autour des remparts, une brume pleine de gouttelettes impalpables.La lumière de mon vélo fait comme un rayon laser dans le demi-jour formé par la triste clarté des lampadaires et les toutes premières lueurs du jour, et c’est comme si je suivais ce faisceau sans trop savoir vers quel endroit. Peut-être est-ce là une jolie métaphore de la vie : au milieu de ce qui semble obscur et confus, suivre une petite lumière, un rayon de clarté qui, sans dissiper les ténèbres, aide à y progresser, jusqu’à la gare finale, l’arrêt définitif. Oui, l’image est frappante. Cette lumière s’entretient, se cultive, cette lumière est avant tout celle de l’esprit qui s’ouvre à la connaissance, qui reste en éveil, qui maintient les fenêtres grandes ouvertes. Et puis, comme par enchantement, comme un dévoilement qui ferait passer de l’ombre à la lumière, cet après-midi le soleil inonde la région de sa chaude clarté, et le monde devient évidence. Plus besoin de se laisser guider par le petit faisceau de notre lumière intérieure : l’harmonie est réalisée.

vendredi 28 mars 2025

 

Mardi 08/10/2024


Aléa climatique… la nuit a été très pluvieuse et le matin est arrosé, il a fallu se couvrir en conséquence et pourtant l’été n’arrive pas à disparaître complètement, il fait encore chaud, même à sept heures du matin. Mais cette petite pluie chaude fait naître des sensations que j’ai toujours trouvées agréables. L’air ambiant devient confortable, accueillant, on se sent bien à l’intérieur comme à l’extérieur. Peut-être cela renvoie-t-il au monde intra-utérin, à cette sensation de ne former qu’un avec son environnement. Il se peut que ce soit ce que l’on recherche au plus profond de nous : l’harmonie universelle entre le macrocosme et le microcosme, la disparition de cette barrière physico-psychologique qui nous sépare du grand tout. C’est exactement ce que je ressentais, petit, lorsque je raccompagnais mon meilleur ami chez lui, sous la pluie estivale, me laissant inonder par ce fluide bienfaiteur, et qu’il me raccompagnait ensuite, pour que je refasse de même plus tard, alors que sa mère s’inquiétait de nous voir dégoulinants mais hilares et ravis. Cette impression de me couler au sens propre dans le grand univers, dans les éléments bruts, je la retrouve souvent avec une béatitude profonde.




Mercredi 09/10/2024


A l’occasion d’un repas chez des amis, dimanche, j’ai eu le malheur de reconnaître un tableau de jeunesse de Goya, sur une étiquette de bouteille de vin. Et ce fut alors un jaillissement d’exclamations surprises, étonnées, de marques d’admiration diverses : « je n’oubliais rien », « j’étais atteint d’hypermnésie », et j’en passe.En venant à la gare, sur mon vélo, ce matin, je me suis aperçu que même dans la nuit finissante, je ne pouvais m’empêcher de faire aller mes yeux partout, sur les gens croisés, les remparts humides, la circulation, des fenêtres éclairées, la végétation. Et la somme de choses remarquées, notées dans mon esprit, m’a paru vertigineuse. Mais c’est là, je pense, la raison de cet encombrement de pensée qu’on peut appeler « mémoire », dans cette acuité de l’œil à tout regarder, tout scruter, avec intérêt, c’est à dire en créant des connexions, des liens, une « connaissance », au sens propre. Cet intérêt pour les choses explique peut-être que le souvenir se fixe, qu’il vient prendre place dans un cadre mémoriel qui fait sens, et qui devient plus facilement mobilisable. D’où cette impression d’hypermnésie qui est en réalité le recours à une logique interne, à un univers mental construit et organisé.




Jeudi 10/10/2024


Je repensais ce matin à tous ces élèves que j’ai eus devant moi, en classe. J’en croise certains parfois, adultes, le plus souvent occupés à de petits emplois, modestes mais solides, et l’on se dit qu’on a peut-être apporté sa petite pierre à l’édifice. Mais les autres, ceux que l’on ne croise plus, ceux qui ont disparu des radars… On le sait, certains ont suivi des voies peu recommandables et sont à présent dans des lieux idoines dont ils ne sortent que rarement, carcéraux ou « du quartier ». Mais l’immense majorité des autres… que sont-ils devenus ? Grands destins, drames, installation dans une vie invisibilisante ?… Les réseaux sociaux aident à se faire une idée, mais une idée seulement. Ce sentiment de lâcher des bébés dans la jungle sans savoir ce qu’ils deviennent est à la fois source de frustrations mais aussi d’espoirs. Et que dire lorsqu’on rencontre sur le quai de la gare tel petit garnement qui prépare son diplôme d’expert comptable, ou quand on voit débarquer en salle des professeurs la jeune fille turbulente devenue enseignante ?

jeudi 27 mars 2025

 

Mercredi 02/10/2024


Il y avait en Espagne, autour de Laredo, un nombre important de bâtiments religieux de toutes les époques, églises romanes liées au chemin de Compostelle, cathédrales diverses, sans compter ces autres sanctuaires qu’étaient les grottes ornées du paléolithique. Nous nous y rendions régulièrement, en promenant, lors des de jours de pluie chaude, quasiment tropicale, comme il en tombe souvent sur ces contreforts des Asturies plantés d’eucalyptus. A chaque fois, l’émotion était semblable : le sentiment d’un sacré, que je ne partageais pas intellectuellement, mais que je ressentais profondément, l’impression d’être dans un lieu chargé de spiritualité, c’est à dire de la communion des pensées, des espoirs, des craintes de communautés humaines millénaires. Et cela ne s’est jamais démenti, les lieux sacrés sont toujours des lieux qui m’émeuvent au plus haut point. C’est au Mur des Lamentations que l’émotion a probablement été la plus forte, une vingtaine d’années après ces séjours espagnols. Là, entre l’esplanade des mosquées et le Saint Sépulcre, c’est avec une boule dans la gorge inexplicable et un bouleversement de tout mon être que je suis resté à contempler ces vieilles pierres qui avaient reçu des marques de foi depuis tant de siècles, entre les ors du Dôme du Rocher et les cloches d’églises sonnant à toute volée. Un moment hors du temps, un abîme d’émotions indicibles.



Jeudi 03/10/2024


Si je remonte encore dans ma mémoire, jusqu’à cette époque de l’enfance et de la petite enfance, d’autres ambiances et d’autres climats viennent de nouveau remplir mon esprit. Ainsi, mes parents étant éducateurs spécialisés, ils s’étaient rencontrés lors d’un séjour à la montagne avec des groupes d’enfants de leurs structures respectives. Cet endroit était situé dans le fond d’une vallée du Queyras, entre Molines, Saint Véran et le hameau de Pierre-Grosse. C’est là que nous avions l’habitude d’aller, dans le cadre de leur métier, d’abord, puis pour les vacances scolaires ensuite. Le cadre était somptueux : de grands versants boisés, au nord de la montagne qui nous faisait face, sombres, mystérieux, probablement peuplés d’animaux exotiques et terribles ; des versants orientés au sud ensoleillés, construits, un adret hospitalier, une montagne habitée et apaisante. C’est là qu’à l’âge où on apprend à marcher, on nous mit sur de minuscules skis archaïques, c’est là que nous tombions mille fois dans une neige abondante et accueillante, ressentant dans notre chair le plaisir de la morsure du froid, bientôt soulagée par la chaleur du logement et le lait bouillant du goûter.



Vendredi 04/10/2024


Petite pause dans les souvenirs, bien que… Le temps nous mange peu à peu et ce truisme reste toujours une donnée théorique, lointaine, tant que nous ne le sentons pas au plus profond de nous mêmes. Je me souviens d’une série télé des années 1980 où un personnage mort restait au milieu des siens, se mouvant, mangeant avec eux, « vivant » dans le foyer sans s’apercevoir qu’il était mort. Un éternuement, le nez qui tombe sur la table à manger, et le voilà qui se décompose subitement, ayant pris conscience qu’il avait achevé son existence. C’est un peu le sentiment que j’ai, et même si je me dis que je n’ai pas l’âge de côtoyer la mort, il est difficile d’ignorer une vue qui baisse, une mémoire qui doit fonctionner moins vite. Disons plutôt que l’esprit paraît à présent encombré de scories diverses qui le rendent moins véloce. Et malgré tout, j’ai toujours l’impression d’avoir quinze ans, des envies, des rêves, des projets sans nombre qui peuplent mon avenir au point qu’il me semble avoir à vivre encore un nombre indéterminé de décennies, et toujours vif et alerte. Mon corps lui-même me trompe : aucune gêne majeure, aucune maladie grave, rien qui handicape ou empêche de faire du sport, de manger et boire librement. Étrange sentiment, le temps ne m’a pas encore totalement mangé.



Lundi 07/10/2024


Et si je n’avais rien à écrire aujourd’hui. Je pourrais reprendre le cours de mes souvenirs, ce qui se produira un de ces jours, mais à présent je n’en ai pas spécialement envie. Et puis écrire « au fil de l’eau » est aussi un plaisir, écrire pour dire l’enthousiasme d’écrire n’est pas plus inutile ou tautologique que choisir un sujet plus conventionnel. Et vraiment écrire est un immense plaisir. C’est d’abord un jeu de l’esprit satisfaisant, une occupation de la pensée parmi les plus agréables, ensuite c’est une gymnastique physique qui apporte autant de bien être que n’importe quel sport qu’on maîtrise un peu. Les doigts serrent le stylo, la main court sur la feuille, une légère crispation se fait sentir… Mais une collègue m’a vu et vient me faire la conversation. Nous reprendrons le sujet plus tard, peut-être.

mercredi 26 mars 2025

 

Vendredi 27/09/2024


Pour rester dans cette fin des années 1970, autour de mes dix ans où tant de choses se fixent, la petite pluie de ce matin me rappelle paradoxalement, par contraste, ce séjour ensoleillé que nous fîmes dans les Landes, à Mimizan,. Il y avait le camping au milieu des pins, endroit exotique s’il en est où l’on se sent Robinson sans connaître l’œuvre, où l’espace et le grand air donnent un goût de liberté et d’aventure aux moindres actions quotidiennes. Double ration de plaisir : nous avions fêté l’anniversaire d’un de mes frères sous la tente, et cela apportait une touche joyeuse, magique au tableau. L’odeur de la sève des pins reste vivace encore aujourd’hui, comme celle du sable chaud mêlé d’aiguilles qui tapissait le camping. Et ce sable chaud, à quel point nous le sentions en gravissant la dune du Pilat, parcelle du Grand Erg Oriental posée au bord de l’océan, mirador incomparable sur l’infini bleu d’un côté et vert de l’autre ! L’ascension était une épreuve en même temps qu’un jeu, et nous gambadions tous autour de ces « marches » de rondins, mal fixées, de ces ornières sableuses creusées par le flux des touristes.



Lundi 30/09/2024


Nous habitions, entre 1976 et 1979, une maison blottie au fond d’un vallon, mais dominant Dieulefit, sur un terrain qui tenait plus de l’île mystérieuse que de la parcelle boisée du cadastre. Il y avait un frais petit ruisseau habité par des têtards et des salamandres enflammées, des lapins venaient y boire, et probablement d’autres animaux que nous ne voyions jamais. Il y avait une grotte sablonneuse, précédée de noisetiers et contenant, dans la glaise humide de ses tréfonds, de curieuses céramiques modernes, plus ou moins enterrées. Plus haut, c’était une forêt qui s’étendait jusques à des sommets qui nous semblaient inaccessibles. C’était une contrée inconnue et sauvage, notre territoire des Barbares, notre forêt des Ardennes. Ici et là, à quelques centaines de mètres, s’élevaient les maisons voisines, dont nous connaissions plus ou moins intimement les occupants. Mais, même s’ils étaient familiers, notre grand jeu était de les « espionner », cachés dans des touffes d’herbes, des buissons, munis de jumelles et de victuailles pour « tenir le coup ». Ce grand jeu avait donné naissance à un « clan » entre frères, les CTDE, qui s’activait pour dénicher le fait incongru, l’événement rare, en vain… Mais tout l’intérêt était dans l’attente.



Mardi 01/10/2024


Le souvenir de l’évocation du sable chaud, il y a quelques jours, me ramène une fois de plus dans les années 1970. Nous allions passer nos vacances en Espagne, à Laredo, dans des studios achetés par mon grand-père. Les immeubles du quartier étaient occupés par une grosse majorité de Français. Nous avions l’impression d’être en Espagne sans y être totalement, une sorte de marche de l’Empire, à quelques centaines de mètres du port de pêche actif de la ville, où nous allions parfois humer les effluves marines sous les halles du havre séculaire. Mais les sensations qui me restent ne se limitent pas à ces excursions. Il faisait souvent chaud en été, et nous n’avions qu’à traverser une route pour rejoindre la longue plage sable clair qui tapissait l’immense baie. Le béton des allées entre les immeubles était brûlant, tout comme celui des trottoirs qui menaient aux accès à la mer… et puis c’était l’explosion des odeurs de tamaris, chaudes, lourdes, puissantes, parfaitement accordées à la fournaise estivale, indéfectiblement liées à cette brûlure sous la plante des pieds lorsqu’on marchait sur le trottoir ou dans le sable incandescent des abords de la plage.

mardi 25 mars 2025

 

Mardi 24/09/2024


Un événement datant de la même époque, à quelques mois près, me revient en mémoire. La nuit estivale était bien avancée, nous étions le 08 juillet et la maisonnée fut prise d’une soudaine frénésie que je ne m’expliquais pas, mais j’y participais. Mon père tenait mon petit frère dans les bras, ma mère devait tenir le bas de son ventre rebondi et attendait quelque chose sur le grand palier obscur devant la porte, et moi je restais, ensommeillé, dans l’entrée, regardant sans comprendre ce qu’il se passait. Je devais avoir un peu plus de trois ans, et relier des faits aussi étrangers l’un à l’autre qu’une mère sur le départ en pleine nuit, toute une famille réveillée, et le ventre maternel que j’avais vu croître durant les mois précédents, était hors de portée pour un grand bébé comme je l’étais encore. Mais il y avait quelque chose de magique, comme un air de cérémonie mystérieuse pour un avènement miraculeux. La scène reste gravée dans mon esprit comme un jalon important de ma construction personnelle.



Mercredi 25/09/2024


Petit souvenir aujourd’hui, trajet moins long… Puisqu’on en était aux souvenirs de (très) petite enfance, ce sont des sensations, tactiles, qui me restent de plusieurs moments passés dans le Var, à Salernes. Le premier est un souvenir de jeu au bord d’une rivière, sur des rives qui faisaient de toutes petites falaises de boue (quelques dizaines de centimètres), permettant la construction de petits barrages, le malaxage, la « pastouille » comme disait ma mère. L’endroit, le vallon de Saint Barthélémy, était frais, bucoliques, arboré… On se sentait plein d’une énergie végétale délicieuse. Le second est un autre moment de « pastouille », mais dans le terreau humide du balcon de l’appartement, donnant sur le cimetière d’un côté et une ancienne usine de tomettes, de l’autre. Même plaisir de triturer cette pâte noire, détrempée, dégoulinante, qui laissait les mains charbonneuses et « pégueuses », inutilisables...




Jeudi 26/09/2024


Le vélo pendu au crochet du wagon prévu à cet effet me rappelle cette époque de la fin des années 1970 où nos parents nous laissaient partir à l’aventure sur les routes autour de Dieulefit, dans la Drôme, sans trop se soucier de ce que nous faisions, ni du temps de notre absence. Cette fois-là, j’entrepris un périple qui me conduisit loin, au-dessus de la ville, puis à l’ouest, avec ce sentiment de liberté et cette impression de maîtriser son destin, malgré l’inconnu, propres aux grandes aventures. Ce fut un immense plaisir intellectuel et physique, une vraie jouissance. Cette expédition, sur un vélo déjà quelque peu inadapté à ma taille, ce saut dans l’inconnu familier, ce plaisir de la découverte mêlé à l’excitation d’un danger maîtrisé mais potentiel, tout ceci n’est certainement pas pour rien dans ce goût immodéré pour le voyage qui m’habite toujours, quelles qu’en soient les conditions, pour aller voir plus loin comment sont les choses.

lundi 24 mars 2025

 

Vendredi 20/09/2024


Quitter Avignon montre deux choses : à quel point une ville moyenne montre sa modestie dès les quartiers jouxtant l’hypercentre, et à quel point cette ville est singulière et imposante avec ses remparts qui la ceignent et l’impression de vénérabilité qui s’en dégage. Ce sentiment d’être rapidement dans un univers urbain médiocre dès qu’on quitte le centre historique, on peut le ressentir dans bien d’autres villes, qui elles aussi juxtaposent sans transition les parties monumentales, historiques et les faubourgs pavillonnaires voire semi-ruraux. Lorsqu’on traverse ces espaces, cela crée un petit choc, esthétique, culturel, la perception fulgurante de mondes qui finissent par fusionner, même si l’on sait qu’il n’en est souvent rien. C’est exactement ce sentiment qui m’habite en quittant Avignon, mais aussi en y revenant, comme à présent.



Lundi 23/09/2024


Pour varier un peu les thèmes, les sujets de ces quelques lignes rapidement griffonnées dans mes carnets, je me suis dit que je pourrais utiliser ces rapides minutes pour raconter brièvement un épisode de mon existence. Ce ne serait pas systématique, mais cela permettrait de vagabonder un peu. Aujourd’hui, après une nuit d’orage et un matin à escargots, il me revient à l’esprit ces journées où ma mère aux fines jambes nous emmenaient, mes deux premiers petits frères et moi, dans la campagne autour de Salernes, dans le Var. Cela se passait au milieu des champs proches des premières maisons du village, en été, probablement après la naissance de mon deuxième frère, le troisième de la famille. De petits escargots blancs, secs, colonisaient allègrement chaque tige, végétale ou métallique, chaque muret, chaque grillage. Et mon frère puîné, tout petit, et posé au milieu des herbes comme un bouddha, se gavait consciencieusement de ces minuscules gastéropodes immaculés. Au bout d’un temps, ma mère devait invariablement intervenir pour lui retirer de la bouche, à grand renfort de doigts, son goûter minéral.

dimanche 23 mars 2025

 

Mardi 17/09/2024 

Le temps est encore passé trop vite ce matin, et j'ai bien cru arriver en retard... mais finalement ce ne fut pas le cas et j'ai même dû attendre sur le quai, puis dans le train. Il y a là peut-être une petite métaphore de ma vie : ne jamais savoir si on est dans le bon timing, dans la bonne temporalité, et finalement se rendre compte qu'on a bien employé son temps, qu'on est là où on devait en être. Mais si cela les atténue, les doutes ne disparaissent pas après cette prise de conscience. C'est comme si l'on filait sur des rails, un peu au hasard, et que malgré tout, et fortuitement, on s'arrêtait de temps à autre dans la bonne gare, là où on devait s'arrêter.

Durant le trajet de retour, j'échange avec le fils d'un collègue qui a le même âge que ma grande. C'est un miroir de sa situation : il doit commencer sa vie professionnelle mais se trouve encore dans les limbes de la vie d'adulte, sans véritablement travailler, être "installé", étant retourné chez son père mais en recherche de logement et de petits boulots jusqu'à l'embauche, dans quelques mois... tempus fugit, horae volant.



Mercredi 18/09/2024

Encore un peu juste, décidément… Mais confortablement assis, j’entame ces quelques lignes. Il est curieux d’observer les variations de remplissage du train, ces flux de personnes. Pourquoi ce mercredi matin n’y a-t-il pas grand monde, alors que les wagons sont d’habitude bien plus peuplés ? Il faudrait connaître des centaines de vies, il faudrait tout savoir sur chaque individu pour pouvoir répondre à cela. C’est vertigineux. Mais c’est un peu le sentiment que j’ai parfois dans les rues populeuses du centre-ville : tous ces visages que l’on croise, jamais les mêmes, mais souvent assez semblables, que peuvent-ils cacher ? Quelle infinité de réflexions, de rêves, d’aspirations, de déceptions, de sentiments contradictoires renferment-ils ? J’en ai parfois le vertige.



Jeudi 19/09/2024

Arrivé juste-juste au train, aujourd’hui. Encore un mystère de flux… le train est quasiment vide. Allez savoir… La voie nous fait traverser des quartiers censés être connus, voire très connus, mais elle permet d’en apprécier des caractéristiques insoupçonnées. Ainsi, au fond de ce quartier pavillonnaire modeste, où logent nombre de nos amis, se niche une maison ancienne, possédant une tourelle en faux colombage, que l’on n’aurait jamais remarquée sans prendre le train. Ou encore, cette mosquée entourée d’un camp de gitans d’un côté et d’un cimetière catholique, ancien, de l’autre, voisinages qu’on trouverait volontiers improbables. C’est en réalité comme si on découvrait perpétuellement du nouveau dans le familier, de l’original dans le banal, ce que d’aucuns auraient pu appeler l’ « unheimlich ». Le voyage, si court soit-il, aurait-il un rapport avec notre inconscient ?

 

Vendredi 13/09/2024

Petit matin frais, de ces matins qui vous font apprécier le train ou regretter le vélo, mais c'est comme les faces d'une médaille, l'un ne va pas sans l'autre. Quand on est tributaire des transports en commun, le moindre grain de sable dans la machine provoque des suées. Et cela n'a pas manqué, quatre minutes de retard et l'on se fait tout le scénario catastrophique de l'organisation de la matinée à revoir. Et puis le train arrive et plus rien n'est catastrophique. C'est un résumé de bien des moments de notre existence. Malgré son organisation impeccable, notre monde ne supporte pas l'incertitude.

Le retour me conforte dans cette pensée : une petite minute de retard fait naître en moi mille questions. Il y a probablement un lien étroit entre cette inquiétude concernant l'incertain et la vitesse de nos modes d'actions qui semble s’accélérer un peu plus chaque décennie, chaque lustre, voire chaque année. Les progrès fulgurants de l’informatique, des transports, nous donnent l'impression que l'on DOIT aller vite, que tout doit arriver immédiatement. Et cela crée certainement cette impatience qui engendre agressivité, stress et violence.





Lundi 16/09/2024 

Le train est bien en avance, ce matin... mystère. Ce n'est pas un mal car si le fond de l'air était assez doux, le trajet fut battu par le vent et il est bon de se réfugier dans le compartiment. Le jour se lève, on est encore entre loup et chien, et malgré le soleil encore estival qui s'annonce pour aujourd'hui, le cours du temps se fait sentir, l'automne qui approche est tout à fait perceptible en ces heures matinales. J'y pensais sous la douche : notre grande fille revient demain de quelques jours à Paris et ailleurs. Dans les semaines qui viennent, elle repartira, ce sera "pour de vrai", pour aller construire sa vie quelque part. Certes, ses études l'ont poussée à se détacher peu à peu géographiquement de nous, mais c'était toujours provisoire. Là, C'est pour de bon et j'avoue que mon cœur se serre. 

J'y pense encore au retour, j'essaie de me remémorer mon propre éloignement progressif de la famille. C'était à chaque fois une excitation particulière, la construction de quelque chose de neuf, de nouvelles "aventures" au sens propre du terme, et c'était bon à vivre. J'espère qu'il en est de même pour notre aînée, qu'elle se projette et voit loin devant, qu'elle n'est pas dans la douleur de la séparation d'avec le cocon familial. Si j'ai moi-même le cœur serré, j'aimerais ardemment qu'elle ne l'ait pas, elle, et cela me rend encore plus nostalgique. Les parents doivent grandir, eux-aussi, et ce n'est pas toujours facile.

Train-train

 

Écrire est un souffle, un souffle qui emporte celui qui tient la plume, un souffle qui vient du fond de l'être et qui pousse inexorablement la main jusqu'à ce qu'elle couche sur la page ce que l'esprit produit. Mais ce souffle continue sa course et emporte le lecteur loin de son univers quotidien. Et les circonstances ont fait que je me suis longuement interrogé sur la pertinence d'écrire sur ce qui allait faire mon quotidien pendant les quelques mois à venir, un quotidien particulier, inspirant, mais peu propice aux grandes envolées lyriques...

Je livre à présent, par groupes de respirations, ce souffle qui me tient depuis bientôt sept mois.

 Mercredi 11/09/2024

Cela fait à présent une dizaine de jours que je suis contraint de prendre le train entre Avignon et Sorgues, la petite ville où j'officie. Après quelques coups de pédales, je rejoins la gare et monte dans un train qui me conduit à destination en cinq ou six minutes. Il m'est venu à l'esprit une simple idée : utiliser ces quelques minutes pour rédiger quelques lignes, chaque jour, à l'aller comme au retour, et cela commence ce mercredi. Immanquablement, il y aura des redites, des élans avortés, faute de temps. C’est un travail de sprinter que je me propose, et dans le sprint, peu de place pour l’analyse, tout est dans le premier jet.

La routine s'est déjà installée durant cette dizaine de jours, et quelques habitudes ont été prises. Ainsi, il me semble important, autant que faire se peut, de jeter un œil sur le quartier que j'habite, sur la rue qui passe devant chez nous et que la voie de chemin de fer traverse à quelque distance. Pourquoi ? Peut-être est-ce un besoin profond, quand je quitte un lieu ou une personne, de ne pas le quitter tout à fait, d'en garder une trace, visuelle ou non, le plus longtemps possible. Vieux traumatisme d'enfance ? Père disparu quand je dormais, évaporé à jamais dans les limbes nocturnes ? Qui sait ? Mais il est un fait que chaque matin je regarde ma rue. Un autre point est qu'une collègue prend parfois le même train que moi, mais ni elle, ni moi ne faisons l'effort de nous retrouver dès le départ. Il semble que chacun tient à garder une intimité trop vite abandonnée en ces matins parfois venteux comme aujourd'hui. Mais c'est ainsi, nous nous ignorons habilement, gardons une distance nécessaire, pour nous retrouver au travail quelques minutes plus tard. Étrange relation à la limite de la pudeur et du refus de communiquer, de l'indifférence et du respect de l'autre. 

Retour ensoleillé, toujours cinq, six minutes de trajet, et l'obligation d'écrire quelque chose. Ce rapide moment de rédaction oblige à la concision, à trouver l'expression juste pour un propos cohérent mais bref : une gageure. Mais c'est le pari que je fais : trouver durant chaque trajet quelque chose de consistant mais fugace à exprimer. Un exercice utile et redoutable. Un exercice gratuit d'écriture, ou de peinture impressionniste d'une conscience toujours en quête d'elle même? Et surtout, jusqu'à quand cela tiendra-t-il ?



Jeudi 12/09/2024

Petit pincement au cœur : occupé à une tâche quelconque, j'ai "raté" notre rue et n'ai aperçu que trop tard les arbres du cimetière qui surplombent notre maison. Mais qu'importe ! Le train est lancé à travers pavillons et usines, hangars logistiques et zones commerciales. Il est étonnant de voir la quantité d'univers qu'on peut traverser en cinq minutes dans un environnement urbain, des mondes, des microcosmes grouillants. Au retour, le vent et les températures en nette baisse rendent les lieux apparemment moins grouillants, mais le décor reste assez fascinant. Les espaces nettement marqués se succèdent en sens inverse, on imagine l'échiquier vu d'en haut, dont les lignes seraient les routes et autres voies de communication, les cases blanches les grands bâtiments commerciaux ou industriels, voire les zones pavillonnaires, et les cases noires les champs, friches et autres espaces naturels. Et les pions que nous sommes se déplacent de case en case, en attente d'un échec ou d'une victoire... 


 Jeudi 26/06/2025 L’eau… l’eau est retombée aujourd’hui, et cela faisait longtemps qu’il n’avait pas plu. Cette eau-là était la bienve...